Quel printemps des poètes ?
Printemps des poètes 2019
La beauté pure
Dans les yeux des femmes
Tous les mystères prennent vie,
L’éclat d’un feu de buis,
La pureté l’âme.
De tulipes desséchées
Aux coquelicots vaillants
La mémoire prie le temps,
Les souvenirs des Aves.
Le bonjour d'une beauté
S’exprime par l’émotion,
Par de petites actions,
Envers le nouveau - né.
regard croisé de vies,
Mère et enfants sont un,
Leur fusion est chemin,
leur sourire sont d'envie.
La beauté se trouve là,
à l'abri d'un sein nu,
dans la bouche d'un goulu,
dans les paroles sans voix.
R.B
La beauté
Définir la beauté n’est sans doute guère plus aisé que de définir la poésie elle-même. Songeons que c’est là toute une branche de la philosophie, qu’on appelle l’esthétique qui s’attelle depuis des siècles à la question. Il a probablement été écrit sur le sujet de quoi remplir des rayonnages entiers. Il faudrait, pour aborder la question de façon sérieuse, se souvenir du rapprochement platonicien entre le beau, le vrai et le bien, revoir Kant qui distingue le beau et le sublime, relire l’Esthétique de Hegel, et évidemment s’intéresser aux approches phénoménologiques et psychanalytiques du beau…
Pour moi la beauté est subjective parce que pensable. La beauté d’une œuvre quelle qu’elle soit n’est que le reflet des connaissances, de l’éducation de l’esprit forgé à l’ouverture même de la découverte qui nourrit en permanence, le curieux, le contemplatif, je dis bien le contemplatif puisque la beauté pure fait rêver. Elle fait rêver puisqu’elle quasi inaccessible. Elle nous élève aussi au-dessus des oripeaux, couvre chef du mal et du néant. Que serait le monde sans la beauté de ses paysages, de ses mers, de ses dunes, de ses lacs de sel ? Comment qualifierions-nous les fond marin et la barrière de corail, les aurores boréales et les pluies d’étoiles, si ce n’est que merveilleux ? Nous voyons là, la beauté merveilleuse de la nature, et humainement nous essayons de l’imiter.
Quand est-il de la beauté dans la poésie, au sein de ses vers. Je vais m’appuyer sur le poème de Charles Baudelaire :
Harmonie du soir
Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.
Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige,
Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ;
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige.
Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir,
Du passé lumineux recueille tout vestige !
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige...
Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir !
Peut-être trouvez-vous que ces vers de Baudelaire comptent parmi les plus beaux de la poésie française ; ou bien sont-ils à des kilomètres de votre anthologie personnelle, Dans ce cas, pourquoi avons-nous un jugement si différent ?
Un texte ou une œuvre revoie des images qui nous mènent à penser. Mais n’oublions pas, non plus l’état d’esprit dans lequel on se trouve lorsqu’on analyse une chose. Le résultat peut être tronqué par notre humeur du moment. C’est pour cela que je pense que la beauté n’est que subjectivité puisque elle est pensable, donc si la beauté n’est que pensée, c’est aussi une notion en constante évolution !
Rappelons l’idée que les hommes se font de la beauté, qui varie, au cours des siècles. Le goût, c’est-à-dire la faculté d’apprécier les choses en termes de beauté, évolue.
Pour schématiser à très gros traits, on peut distinguer plusieurs périodes.
1) Célébrer la perfection de la Création
Pendant l’Ancien Régime, l’idéal poétique consistait essentiellement à exceller dans l’imitation des Anciens, à exprimer la beauté d’un ordre du monde conçu comme éternel et immuable. L’Univers, conçu par Dieu, était considéré comme parfait, et l’art consistait donc à célébrer la perfection de la Création divine. La créativité s’exerçait au sein de formes fixes, ballade, rondeau, sonnet qui n’étaient pas perçues comme un carcan. Lisez Ronsard et Du Bellay, et vous verrez à quel point la même forme du sonnet parvient à engendrer des poèmes très différents entre eux.
2) Un profond renouvellement des esthétiques poétiques
La Révolution française a profondément changé la façon de voir le monde. Bien des choses que l’on croyait éternelles et immuables se sont révélées transitoires et contingentes. Dès lors, il n’y a plus de raison de se contenter de respecter une tradition. Aussi est-ce précisément au XIXe siècle que l’on va assister à un profond renouvellement des esthétiques poétiques.
On fait souvent de Baudelaire le père de la poésie moderne, mais le renouvellement est sensible dès le romantisme. Hugo n’est-il pas, déjà, ami de l’enjambement ? C’est aussi le romantisme qui a réinterrogé la notion de beauté. À la beauté apollinienne, harmonieuse, symétrique, régulière, on a ajouté la beauté dionysiaque, foisonnante, baroque, passionnée… Ou plutôt, on s’est ressouvenu de ce deuxième aspect de la beauté. Cela correspond à la redécouverte du Moyen Âge, à la peinture de sentiments exaltés, à la valorisation d’animaux auparavant considérés comme hideux, tels le crapaud.
Faire du beau avec du laid
Le dix-neuvième siècle fait ainsi bouger les frontières entre beauté et laideur. L’exemple le plus typique de ce phénomène reste la fameuse Charogne de Baudelaire, magnifique poème qui fait une peinture très pétillante d’un cadavre. Et, comble du culot, Baudelaire ne se gêne pas pour comparer cette charogne à la femme aimée.
Empruntant sa métaphore à l’alchimie, Baudelaire décrit la poésie comme ce qui permet de changer la boue en or. On voit donc que le matériau de départ, l’objet à décrire, n’est plus forcément noble ou beau en soi. C’est l’art du poète qui va rendre beau ce qui ne l’était pas au départ. Faire du beau avec du laid, c’est une idée assez moderne.
Rimbaud fait sans doute un pas de plus. Au début de la Saison en Enfer, il affirme avoir injurié la Beauté assise sur ses genoux. Il affirme vouloir s’implanter des pustules sur le visage. Mais, à la fin de la Saison, il a cette phrase admirable : « Je sais aujourd’hui saluer la beauté ».
Une charogne
Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d'été si doux :
Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,
Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d'exhalaisons.
Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint ;
Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s'épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l'herbe
Vous crûtes vous évanouir.
Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D'où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.
Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s'élançait en pétillant ;
On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,
Vivait en se multipliant.
Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l'eau courante et le vent,
Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.
Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,
Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
Seulement par le souvenir.
Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d'un oeil fâché,
Epiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu'elle avait lâché.
- Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !
Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.
Alors, ô ma beauté ! Dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés !