Conte
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Tom et le Croquemitaine
- Par poesieflanante
- Le 21/12/2019
- Dans Mes contes
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De la forêt de Bondy il ne reste que quelques arbres couverts de gaz d’échappement et un très vieux Cèdre du Liban datant de plus de deux siècles en bordure de la nationale trois. C’est lui qui me conta cette histoire qu’il tient de son ami le chêne mort depuis longtemps.
Ce fait date du jour où je l’ai entouré de mes bas pour l’entendre respirer. Mais n’en parlez pas, car seules les âmes rêveuses peuvent comprendre.
Je sais que je n’ai pas toujours respecté la nature ni l’homme mais aujourd’hui le vent, l’eau, les animaux, et les hommes ne m’en veulent plus et me ils parlent d’amour et d’espoir que je vous livre en un jet, que j’espère surprenant.
Cette fable se déroule à l’approche de Noël, plus exactement avant le six décembre jour de la St-Nicolas, tradition ancrée dans l’est de la France, que les parents du jeune Tom continuent de célébrer afin de ne pas perdre leurs racines.
Tom et le Croquemitaine
La légende de
Raïssa
Il y a fort longtemps ; si longtemps que la forêt de Bondy bruissait encore de toutes ses feuilles d’arbres. Le chant des oiseaux enivrait, à cette époque, les voyageurs en carrosse. En ce temps reculé, un gentil petit garçon qui se prénommait Tom vécu l’aventure la plus improbable de sa vie. Il était dévoué mais surtout, il aimait ses parents qui habitaient une petite maison de bois construite en bordure de la seule rue menant à la ville éloignée de quelques kilomètres.
En cette période de l’avent, tous les gens de la ville que Tom servait au marché, à son étal gorgé de châtaignes, ne parlaient que de cela. Ils n’avaient cure de l’âge du gamin qu’il était. Comment auraient-ils pu comprendre sa peine à l’ouvrage, eux qui possédaient tant ; comment auraient-ils pu comprendre le manque matériel de sa famille, comment auraient-ils pu comprendre ce qui forçait Tom à travailler ?
Tout comme sa famille, le jeune garçon n’avait que l’espérance de vivre au jour le jour. Il ne possédait aucune richesse, que celle du courage et du cœur ; presque rien pensaient les nantis ; mais lui en fait son tout !
Il chérissait ce manque car il savait que ses joues seraient, lors de la veillée de la veillée de la St-Nicolas, couvertes de baisers par ses parents aimants. Cela lui suffisait amplement et c’est ainsi qu’il pouvait afficher un sourire malicieux sur son visage juvénile. En attendant, lui, le petit vendeur de châtaignes, le gueux comme aimaient le dire les plus riches, écoutait les gens parler des fêtes de Noël à venir par-ci, et des réjouissances à organiser par-là. Tous riaient à gorge déployée en ne se préoccupant pas de lui, ou en le regardant avec dédain lorsqu’ils lui passaient commande ou lorsqu’ils le réprimandaient sauvagement pour un mauvais rendu de monnaie.
Le soir, après une dure journée de labeur Tom aimait regarder par-delà fenêtre lorsqu’il avait fini d’aider sa mère à la préparation du repas. Le spectacle que lui offraient les arbres le fascinait, et parfois il s’imaginait être un écureuil sautant de branche en branche ; il aimait rêver de liberté. Mais cette soirée-là avait jeté un rideau de pluie battante sur la campagne et les gouttes frappaient les vitres d’un joyeux tambourinement. Pensif, la tête posée sur ses bras repliés, le garçonnet essayait de deviner la trajectoire des billes d’eau devenues folles. Mais surtout il jouait à anticiper le point de chute des gouttes les plus hardies, qui après avoir avalé leurs compagnes prenaient du poids et coulaient de plus en plus vite pour finir leur course en un point aléatoire au bas de la fenêtre.
Soudain la porte s’ouvrit pour laisser passer un homme robuste au sourire engageant. Le petit Tom sauta au cou de son père qui ne prit pas le temps d’enlever sa veste pour faire virevolter son fils à bout de bras. La pièce s’emplissait de leurs rires et des recommandations de la maman, qui s’inquiétait d’un éventuel accident, lorsque Tom projeté vers le plafond retombait dans les mains puissantes de son père. L’homme reposa Tom sur le sol en lui frottant énergiquement ses cheveux blonds. Après avoir complimenté sa femme pour l’odeur exquise du repas qui finissait de mijoter et qui promettait d’être gourmand, malgré le clair du bouillon ; il se dirigeât vers le berceau où dormait comme une bienheureuse sa fille Mathilde, âgée de trois ans. D’un soupire triste il dit à sa femme
- Je ne pense pas que Saint Nicolas puisse apporter le chiot blanc qu’aimerait avoir Mathilde. La concurrence est rude dans le métier et le prix des livrées chute de jour en jour. Pour nous maintenir à flot, il faudrait que je travaille presque jour et nuit ; et l’équipement serait pour nous exorbitant car il faudrait investir dans deux chevaux de plus, ce qui est tout simplement impossible.
La mère de famille, Éléonore haussa des épaules en répondant :
- Je pense que les elfes de Saint-Nicolas vont œuvrer à confectionner une peluche toute blanche, une boule de douceur pour la petite. J’ai confiance car je sais nos enfants suffisamment à l’écoute pour comprendre, même si cela les peine souvent. Que pouvons-nous faire… sinon les consoler et leur apprendre, comme disait feu ma mère, que la frustration fait grandir !
Du haut de ses sept ans Tom toisa sa mère pour la première fois en rétorquant :
- Ce n’est pas juste! Saint-Nicolas a toujours exaucé nos vœux, puis Mathilde a toujours été sage. Il est rare qu’elle pleure ou fasse une colère ; alors pourquoi Saint-Nicolas ne pourrait-il pas lui apporter ce chiot ? Je suis certain qu’elle l’aimerait de toutes ses forces !
- Oui mon grand, mais la vie est ainsi faite. Parfois on aimerait que les choses nous soient accessibles pour diverses raisons mais souvent on ne peut pas les obtenir. Tu vois Tom, comme je le disais tout à l’heure, on appelle cela, la frustration. Mais celle-ci, si pénible à vivre soit-elle, nous fait grandir en nous apprenant la patience, le courage, la détermination mais aussi l’abnégation.
- Et surtout l’humilité, termina le père.
La maman de Tom avec une grande délicatesse reprit la parole
- Tom, Je vais te donner un exemple. Demain, ton père doit livrer à Paris un chariot de bûches pour une famille aisée. Pourtant je sais qu’il va pester contre la boue des chemins et contre l’eau de la pluie qui lui trempera le dos. Mais ton père sait que la pluie est bonne pour la terre et que la famille aisée qu’il livrera nous permettra de vivre plusieurs jours grâce à l’argent qu’elle lui donnera. Alors ton papa restera humble face aux éléments que seront la pluie et le vent, puis courageusement il mènera à bien son chargement afin de nous nourrir. La frustration de cette obligation sera pour ton père de ne pas rester à la maison par ce mauvais temps ; mais il nous fera grandir en nous faisant vivre sans trop de manque pour plusieurs jours !
- Je ne comprends pas toutes ses choses, mais je suis certain de pouvoir aider Saint-Nicolas car en ville les gens parlent d’une portée de louveteaux tout blanc. Je pourrais aller chercher l’un de ces jeunes loups pour le ramener près de la maison ainsi Saint-Nicolas le verrait et il pourrait le donner à Mathilde ! Qu’en pensez-vous ce serait bien non ?
Le père de Tom ne pût pas se retenir de rire, mais d’un air sérieux il demanda à son fils
- Comment comptes-tu t’y prendre ? N'oublie pas que dans la forêt vit le Croquemitaine mangeur des bouts de doigts d’enfants trop curieux ou trop étourdis qui s’aventurent dans la forêt. Puis, n’auras-tu aucune peur dans ce lieu maléfique, seul, face aux ombres des arbres ? Non, je suis désolé mais il est impossible que je te laisse aller dans la forêt, du reste, je te l’interdis ! Est-ce bien entendu Tom ?
Le garçon se renfrognât et alla sagement s’asseoir à table. Le souper fut pris dans une atmosphère morose malgré les appels à la conversation de la maman.
Deux jours s’écoulèrent après l’interdiction pour Tom d’aller seul en forêt. La petite maisonnée était plongée dans le calme de la nuit ; mais Tom ne dormait pas. Il se leva sans bruit et s’habilla le plus chaudement possible. Il regarda sa sœur dormir et à voix basse il lui promit d’aider à sa façon Saint-Nicolas. Il se retient d’embrasser le front de la petite pour ne pas la réveiller. Sur la pointe des pieds et en prenant soin de marcher sur les vieux tapis élimés afin de ne pas faire grincer le plancher, Tom réussit sans encombre à sortir de la maison. Une fois à l’extérieur il courut en direction de la forêt. La lune brillait d’un éclat argenté, ce qui l’aida à trouver un chemin qu’il décida de suivre. L’obscurité au fur et à mesure de la progression du garçon s’épaississait. Depuis longtemps il savait identifier chaque cri d’animaux, chaque chant et hululement d’oiseaux, mais il sentait la peur s’installer au plus profond de son être lorsque l’un de ces bruits retentissait. Le froid, l’humidité et les ombres fantomatiques des arbres lui faisaient comprendre que la désobéissance, même pour une cause noble, entraînait invariablement d’une façon ou d’une autre la force d’une punition. Tom aurait bien aimé rentrer chez lui au plus vite ; malgré la colère légitime de ses parents qu’il se doutait de devoir affronter. Ils les imaginait fous d’inquiétude ; mais il avait parcouru tant de chemin et bifurqué tant de fois, soit à droite, soit à gauche, au gré de ses envies, qu’il ne savait plus avec exactitude le chemin parcouru. Fatigué, il préféra s’asseoir sur une souche couverte de mousse. Dans le ciel les étoiles scintillaient mais déjà le noir de la nuit laissait place à la pâleur d’un ciel bleuté, annonciateur de l’aube naissant. Épuisé Tom se mit à pleurer.
Trop occupé à son chagrin, il n’entendit pas la personne qui s’était postée derrière lui ; et lorsqu’il sentit une pression sur son épaule il se mit à hurler, non pas de douleur, mais de frayeur. Le garçonnet eut le courage de tourner la tête et il put voir un homme hors du commun. En voyant ce cou puissant et ce torse de Stentor l’enfant n’eut aucune difficulté à mettre un nom sur l’individu qui semblait vouloir le soulever. Tom faillit s’évanouir de frayeur mais il trouva la force de dire une phrase à cette force surnaturelle.
- S’il vous plait Monsieur le Croquemitaine ne me faites aucun mal et ne mangez pas le bout de mes doigts. »
Puis l’enfant sombra dans le néant de sa conscience. Quelques heures après Tom se réveilla. Il était confortablement couché dans un très grand lit, sous une montagne faite d’un gros édredon rempli de plumes d’oies qui lui tenait chaud. Le petit pouvait voir le ciel puisque le lit était placé face à la fenêtre ouverte. Le fait amusant que Tom remarqua fut que cette ouverture vers l’extérieur se trouvait perchée au ras du plafond. Pourquoi avoir placé une fenêtre si haute puisqu’elle n’offre aucune vision sur la nature s’interrogea-t-il en écoutant le chant des piafs qu’il imaginait virevolter non loin. Alors qu’il se frottait les yeux, l’image du colosse lui revient en mémoire. Mais il se savait vivant. Pourquoi, pourquoi le croquemitaine ne lui avait mangé le bout des doigts ? Cela il ne se l’expliquait pas.
Le garçonnet hasarda un regard en dehors des plis de l’épais oreiller. Après avoir légèrement tassé un petit coin de l’édredon. Il observa l’endroit d’où il entendait les bruits familiers de cuisine. L’odeur de lait commençait à envahir la seule pièce de vie. Tom déduisit que la matinée débutait.
Quand il vit l’homme à la musculature puissante se diriger vers lui, il ferma les yeux et fit semblant de dormir. Mais la supercherie ne fonctionna pas et le colosse en maugréant souleva l’édredon qui couvrait l’enfant.
- Ne fait pas semblant avec moi. J’ai horreur des mensonges, ils me mettent en colère. Aller lèves-toi et viens me rejoindre à table.
En sautant du lit pour suivre le colosse l’enfant demanda
- Pourquoi ne m’avez-vous pas mangé le bout de mes doigts ?
L’homme en versant le lait dans le bol du gamin sourit puis en s’asseyant, il lui répondit le plus naturellement possible.
- Écoutes-moi petit. Bien que tu sois venu sur mes terres sans autorisation ; et bien que d’autres gens soient passés par ici pour leur plus grande peur, je n’ai jamais mangé de bouts de doigts, ni quoi que ce soit à ces pauvres bougres.
Ce n’est pas aujourd’hui que cela va commencer ! ajouta-t-il en riant franchement.
- Alors pourquoi tous les gens, ainsi que mes parents le disent ?
- C’est une longue histoire entre le Roi et moi. À l’époque j’étais son maître forestier et je devais gérer la totalité de la forêt de Bondy. Puis un jour il me convoqua au château des tuileries. Le Roi dans sa magnificence me reçut pour une demande expresse. Il voulait que j’abatte un Teck. J’ai eu beau lui dire que ce genre d’arbre ne poussait pas sous nos latitudes ; il n’a rien voulu entendre. Le Roi voulait faire des économies de transport et il espérait que dans la forêt se trouve quelque uns de ces arbres. Ensuite, le monarque m’a jeté au visage cette phrase : Ce que le Roi veut, l’homme peut ! J’étais prévenu et je savais que j’allais au-devant de graves ennuis.
Les yeux du croquemitaine semblaient perdus dans le vague de ses souvenirs faits d’incompréhension. Il continua à parler d’une voix douce alors que Tom continuait de l’écouter sans dire mot.
- Trente jours… je n’avais que trente jours pour satisfaire le caprice de son éminence. Trente jours pour quoi faire ? Je n’ai jamais cherché, à quoi bon, puisque de toutes les manières je n’aurais jamais trouvé cet arbre dans la forêt. Le trentième jour je suis retourné au château les mains vide. Il fut très colérique. Il voulut me faire écarteler pour trahison en plein centre de la place du châtelet. Cela divertira le peuple, avait-il ajouté. Mais heureusement pour moi la prêtresse, prophétesse, dans sa vile bonté m’épargna ce châtiment. Elle prit la parole pour dire au Roi : « Sir, si ce lourdaud meurt rapidement qu’en sera-t-il de la sentence ? Je pense mon Roi qu’un bannissement serait plus judicieux. Je peux faire en sorte que les parisiens et les gueux habitant au-delà de nos portes le voient comme un effroyable croquemitaine sanglant et sauvage. » C’est ainsi que le Roi d’un sourire machiavélique me regarda en pavoisant avec hargne. Il conclut par cette phrase : « Qu’il en soit ainsi! »
Tom reposa doucement son bol puis il fixa l’homme devant lui avec attention et il émit quelques interrogations.
- Pourquoi êtes-vous resté ici ; pourquoi ne pas avoir quitté les environs, le charme n’aurait peut-être pas agit ailleurs ?
- Tu sais mon petit, ici j’ai toute ma vie, mes habitudes, mes amis les animaux, qui eux me voient tel que je suis. Puis que faire sans le sous ? Ici j’ai ma cabane et de quoi vivre !
- Mais alors si vous n’êtes pas le croquemitaine qui êtes-vous ?
- Je m’appelle Emanuel Issolévich et par le pur hasard de la vie j’ai été amené à voyager de la Toundra russe jusqu’en France. C’est pour cela que je n’ai pas le même visage. Tu peux t’en rendre compte car il est plus rond et mes yeux plus étirés que les tiens. Mais revenons à mon histoire pour que tu puisses comprendre vraiment ce qui m’est arrivé. Je te parlais de la prêtresse, prophétesse, qui m’a ensorcelé. Suite à cela elle s’approcha de moi pour me dire : « Afin que tu te rendes compte de la bonté de ton Roi, cette malédiction prendra fin le jour où un enfant viendra te demander un service très inhabituel et que tu seras en mesure satisfaire son attente. Ce jour-là les gens oublieront car l’enchantement disparaîtra et ta vie pourra reprendre son cours. »
- Qu’est-ce qu’un service inhabituel ?
- Je ne sais pas !
- Moi je suis perdu et je ne sais plus comment rentrer chez moi. Je pense à mes parents qui doivent être sont fous d’inquiétudes puisque dans cette forêt il pense qu’un croquemitaine attend sa proie.
Emanuel coupa lui parole.
-Oui parles-moi un peu de toi, pourquoi être venu dans la forêt puisque tout le monde ou presque, sauf les fous, a peur de m’y rencontrer ?
- Parce que je voulais aider les elfes de Saint-Nicolas qui ne peux pas apporter le chiot blanc que ma sœur Mathilde souhaite pour les fêtes de l’avent. Je ne sais pas comment s’est possible ; mais les gens au marché parlent d’une couvée de loups blancs. J’ai voulu en avoir le cœur net et j’espérais pouvoir en ramener un afin que les elfes de Saint-Nicolas puissent le trouver dans le jardin de mes parents. Ainsi ma sœur serait heureuse !
- Et bien, tu es courageux et très charitable ! Cela me donne une idée… nous pouvons nous entre aider…Oui c’est cela… Un service inhabituel !
- Je ne comprends pas !
- réfléchis un peu ! Tu as besoin d’un chien blanc pour ta petite sœur et moi j’ai besoin de rompre le maléfice de cette sorcière. Il se trouve que je sais où sont ces loups. C’est une longue histoire qui remonte à plusieurs années. Des chasseurs avaient tirés sur une très jeune louve. L’animal blessé gisait non loin de ma cabane sur un lit de fougère. Après de longues approches je pus lui venir en aide et à force de patience j’ai pu retirer la pointe d’une flèche qui était venue se ficher dans l’os de sa cuisse. J’ai réussi à la nourrir puis peu à peu je l’ai habitué à retourner à la chasse en espaçant la pitance que je lui offrais. Depuis nous sommes devenu ami. Souvent elle vient me rendre visite et repart en forêt après quelques caresses. Mais je ne sais pas comment elle réagira lorsqu’elle te verra car elle n’a guère l’habitude aux êtres humains. Puis ce peut être dangereux car un animal sauvage reste imprévisible. Qu’en penses- tu ?
- Vous serez là, elle vous connaît ! Et moi je suis un enfant alors je pense qu’elle réfléchira et qu’elle n’attaquera pas. Puis je ferai attention, je vous le promets !
- Il ne s’agit pas de cela ! Enfant ou pas, elle risque de défendre ses petits lorsque qu’elle comprendra qu’on lui enlève l’un des siens. Écoute, je vais réfléchir le temps de faire un peu de rangement et je prendrais une décision après. Ne m’en veux pas si je refuse car c’est une lourde responsabilité que de t’emmener.
-S’il vous plait aidez-moi ! Je me ferai tout petit.
La tête base, le nez dans son bol Tom affichait un visage triste. Le colosse commença à débarrasser la table encombrée d’assiettes sales et de miettes de pain noir. Après avoir tiré les draps de toile et le lourd édredon Emanuel se redressa et avec un franc sourire il questionna l’enfant.
-Personne ne passe plus par ici depuis longtemps alors seras-tu suffisamment sage pour rester seul ici en sécurité ?
-Je vous le promets ! Je pourrais en vous attendant préparer le repas ?
-non ! Non tu ne fais rien ! Je veux que tu restes tranquille sans rien toucher. Si tu le souhaite regarde mes collages de feuilles d’arbres et essaie de deviner leur nom. Je partirai dès que je serai prêt.
Quelques minutes plus tard, l’homme une besace à l’épaule quitta la cabane sous le regard attentif de Tom. Bientôt le petit ne le vit plus, l’homme avait disparu, avalé par la végétation dense.
Emanuel arriva auprès de la couvée après une heure de marche. La louve et les louveteaux le reconnaissant lui firent la fête. Les petits dans des jeux de cabriole lui souhaitaient la bienvenue et la mère venait chercher quelques caresses.
L’homme posa sa besace et appela la louve
-Raïssa vient là, il faut que je te parle, même si tu ne comprends pas, j’ai besoin de te dire ce que je suis venu faire. C’est un jour triste, que je vais t’obliger à vivre. Je sais qu’un de tes petits ne pourras pas vivre longtemps en forêt car il n’est guère vaillant pour cela. Alors je vais le donner en garde à la famille de mon nouvel ami. C’est un jeune plein de bonté, alors je suis certain que ses parents prendront soin de ton chiot qui est maintenant presque sevré.
Les yeux de la louve se mirent à changer de couleur et le bleu qu’ils avaient maintenant était d’une intensité profonde. La bête se mit soudainement à parler.
-Je sais Emanuel, je sais et je suis heureuse de cela !
Le colosse eut un sursaut. Il recula vivement et tomba sur les fesses. Hébété, il balbutia.
-Comment est-ce possible ? Elle parle… malédiction le Diable me pourchasse !
-Mais non Emanuel, je suis la gardienne de la forêt et j’ai lu en toi comme dans un livre ouvert. Je sais que ton âme est belle. Je l’ai su lorsque tes mains se sont posées sur moi pour me soigner. Il y a des douceurs qui racontent le cœur.
-Tu es la gardienne de la forêt ?
-Oui comme je te l’ai dit ! Et il y a longtemps que je t’observe. Je t’ai vu prendre soin des arbres, de la nature. Soigner des oiseaux tombés du nid ou parfois relâcher un trop jeune animal pris au piège dans un collet. Je t’ai aussi entendu pleurer ta solitude lorsque tu as été banni par ton Roi. C’est pour cela que j’ai eu confiance en toi car je sais que tu es bon.
Emanuel n’en revenait pas. Il ne faisait que de se gratter la tête en vacillant d’un pied sur l’autre. Il ne savait dire que cela
-Alors ça…alors ça, si je m’attendais à cela!
La louve le regarda avec bienveillance en ajoutant
-Je me souviens aussi lorsque tu m’as prénommé Raïssa. Tu m’as expliqué que c’était en souvenir de ta femme qui hélas est morte en couche. C’est l’une de tes plus grandes blessures et j’ai été fière de voir en toi l’amour que tu avais encore pour elle. Tu vois je te connais très bien et je te répète que je suis heureuse de te rendre service ainsi qu’au petit homme, Tom si je ne me trompe pas ?
-Oui c’est bien Tom, mais cela aussi tu sais ?
-Oui je vous ai vu lorsque tu as trouvé ce garçonnet tôt le matin. Je suis restée à proximité de ta cabane afin de comprendre pourquoi ce petit était venu ici ; chez nous. J’ai entendu son histoire et je sais que lui aussi à un grand cœur.
L’homme n’en revenait toujours pas. Un peu abasourdi il regarda la louve attraper son jeune louveteau par la peau du cou et, comme dans un songe, il la vit déposer son petit sur la besace posée au sol.
-Je n’ai qu’une requête à te demander mon ami.
-Dis-moi je ferais mon possible Raïssa
-Je veux remettre moi-même mon petit à l’enfant. Je ferais en sorte qu’il n’ait aucune peur et je le sais point farouche ni craintif.
-Tu sais bien que nous sommes à une heure de route à pieds que feront tes autres petits ?
La louve se retourna vers l’est est se mit à hurler quelques instants. Aussitôt la meute au loin lui répondit et le calme retomba en bordure de la clairière.
-J’ai prévenu mon mâle et la meute va revenir de suite auprès de mes jeunes. Mon compagnon te remercie et te manifeste ses amitiés. Il ne faut pas tarder à partir car je sens le froid et la neige qui bientôt tombera à gros flocons. Allons-y !
Emanuel haussa les épaules comme pour soulager une chose qu’il ne parvenait pas à comprendre, mais qu’il acceptait. Les deux amis se mirent en marche heureux de voir la tête du petit louveteau dépasser du sac. Elle ballottait au rythme des pas du colosse.
Une heure plus tard ils arrivèrent à la cabane. Le ciel devenait de plus en plus gris blanc. En passant la porte, Ils purent voir Tom sagement installé, en position assis tailleur, sur le lit. Il regardait les pages couvertes des diverses feuilles d’arbre récoltées par Emanuel. Le gamin sauta au sol et, il eut en voyant la louve un mouvement de recul. Calmement elle l’invita à s’asseoir.
-Bonjour Tom, ne sois pas apeuré je suis la gardienne de la forêt. Je viens faire ta connaissance, puis je t’apporte ce que tu désir le plus. Regarde !
Les yeux de l’enfant s’arrondirent et il s’exclama
-Tu es le premier loup que j’attends parler !
Sans plus d’interrogation il sauta au coup de l’animal pour le caresser. Le gamin riait en serrant la louve dans ses bras. Puis il se calma et lui demanda si elle lui apportait un petit louveteau.
-Oui et j’ai tenu à accompagner notre ami Emanuel car je tiens personnellement à te féliciter pour la bonté que tu as en toi. Emanuel t’expliquera comment je sais cela car il ne faut pas tarder et nous devons te ramener chez toi au plus tôt car la veillée de la St-Nicolas n’attend pas et il ne reste que quelques heures de jour pour y voir clair. Et de plus… voilà, regarde la neige commence à tomber.
Effectivement dehors les premiers flocons tombaient de façon dense. Les branches nues des arbres ne tarderaient pas à se couvrir de blanc comme toute la forêt. La campagne frissonnera dès la nuit tombée. Emanuel prit le temps de frotter un peu de graisse de poule sur des croutons de pain. Durant ce temps l’enfant et la louve jouaient avec le louveteau.
-J’ai terminé ce qui nous servira de déjeuner. Ce ne sera pas un repas gargantuesque mais il nous donnera la force de marcher car il nous faudra plusieurs heures pour rejoindre les abords de la ville.
En chemin la neige redoublait ses assauts et maintenant le sol était couvert d’une fine couche de ouate blanche. Les sons étaient feutrés et aucun oiseau ne sifflait plus. Plus rien ne semblait vivre.
Quatre heures plus tard le petit groupe arriva à destination. Tom toqua à la porte et préféra attendre que ses parents ouvrent. Il ne voulait pas les effrayer à la vue de la louve et de son ami le colosse. La mère tira la porte et dans un cri elle entoura son fils dans ses bras en pleurant, en le grondant, en le réconfortant. Le flot de ses paroles allait à la vitesse du vent et parfois sa voix grondait comme le tonner mais elle embrassait son fils. Le père n’avait guère mit de temps pour arriver auprès de sa femme et il faisait reculer sa famille par crainte de la louve et de l’homme qui l’accompagnait.
L’ancien maître forestier d’un sourire enjoué et d’une voix qu’il essayait de faire douce expliqua en deux mots l’aventure que venait de vivre le petit garçon.
Maintenant bien installé au chaud autour d’un verre de vin aigre Emanuel put détailler sa rencontre avec Ton. Les parents de celui-ci se sentir fier de leur fils. Puis ils allèrent dehors voir le jeune loup et la mère leur parla. Ils ne furent pas surpris puisque l’ami de Tom leur avait expliqué cet enchantement surprenant.
-Bonjour, comme vous le savez maintenant, je suis la gardienne de la forêt et je viens vous confier mon petit car je sais qu’il sera en sécurité et bien traité. Mais je ne demande qu’une seule chose. Que vous fassiez en sorte que la petite Mathilde une fois jeune fille vienne dans la forêt avec mon fils afin que je puisse lui parler et lui transmettre quelques-unes de mes valeurs avant que je ferme les yeux.
-Je vous le promets, affirma le père.
-De plus j’ai transmis à mon louveteau la faculté de parler et de vivre très vieux. Il ne faut sous aucun prétexte que le monde le sache. Vous seuls devez converser avec lui, ainsi les hommes le laisseront tranquille. Je ne veux pas qu’il lui arrive malheur pour sorcellerie.
La maman de Tom arriva pour prévenir du réveil de la petite Mathilde qu’elle avait couchée afin que la petite puisse veiller. Rapidement, tous prirent soin de coucher au chaud le louveteau et ils rentrèrent eux aussi à l’abri de la neige qui maintenant tombait en tissant un rideau blanc, presque opaque. Le père invita ses hôtes à partager le repas de la veillée. Emanuel et la louve acceptèrent car ils ne pouvaient plus reprendre la route tant le froid était glaciale. Le vent commençait à se lever et cela présageait le givre au matin. Malgré le repas d’un maigre pot au feu au bouillon clair les rires et les chants allaient bon train, lorsqu’à la porte quelques coups furent donnés. La louve trouva refuge sous l’un des lits et personne ne la vit. Des amis venaient chercher la famille de Tom pour assister à la messe de minuit.
Emanuel mal à l’aise se demandait si le charme était bien rompu et à en croire le comportement des nouveaux arrivants c’était le cas. Il se sentait soulagé mais pas encore certain de ce fait. Il pensa que ce moment de prière commune lui enlèverait tous doutes.
À leur retour la petite sauta de joie en voyant le jeune loup blanc couché sur une toile de lin. Son père avait, comme chaque année réussit à s’absenter afin de préparer la surprise que St-Nicolas avait offerte.
Dix-huit ans plus tard, Tom et Mathilde retournèrent à la cabane de leur ami Emanuel pour lui offrir, à la veille de la Saint-Nicolas, une couverture de laine tricotée par Mathilde. Dessus un loup blanc était brodé de fils de soie. Ils purent se rendre compte que l’homme avait lui aussi vieillit ; mais il dégageait toujours de lui cette même force tranquille. Tous ensembles ils allèrent retrouver Raïssa qui ne tarda pas à venir à leur rencontre. Elle les avait sentis de loin. Le louveteau était devenu un grand mâle vigoureux et d’une beauté à couper le souffle. La mère et le fils échangèrent longuement puis la vieille louve se dirigea vers ses amis et leur dit
-Le temps qu’il me reste est compté mais je partirais heureuse de vous avoir connu. Vous êtes des personnes de valeur que je n’oublierais pas, même là où je dois aller.
Elle fit quelques marques d’affection à tout le monde puis elle disparut dans la forêt.
Le loup blanc que Mathilde avait prénommé Wolf, avec ses pattes, sécha ses yeux et vint se blottir contre Mathilde qui le caressa tendrement.
-Ma mère m’a tout expliqué car je me posais tant de question. Bien que j’aie toujours été heureux parmi vous, l’espace de la forêt m’appelait. Vous êtes des gens précieux. Ma mère m’a transmis ses valeurs, sa compréhension du monde et ses croyances. Elle m’a dit que le monde des humain, malgré ces turpitudes et le néfaste de quelques personnes, regorge de bonté. Il suffit d’observer et de marcher droit sur le chemin qui est le nôtre sans vouloir par égoïsme, sottise ou envie de paraître faire de mal à autrui.
Mathilde à ces mots eut peur que son ami Wolf veuille retourner à la vraie liberté, mais tel n’en fut pas le cas. Wolf était devenu trop attaché à sa maîtresse pour cela. Il protégea sa maîtresse jusqu’à la mort de celle-ci.
Depuis en lieu et place de la forêt de Bondy, les jeunes enfants au fond de leur lit rêvent d’une louve. Dans leur inconscience, ils la prénomment Raïssa.